Trace ma vie

Le projet

J'avais passé un an à perdre mes amis de la même façon qu'on passe toute sa vie à mourir. En gros j'avais plein de gens plein plein de gens autour de moi et puis d'un coup je me suis retrouvée avec plus personne. L'indicateur pour la dépression c'est quand tu penses que plus personne ne t'aime ni ne t'appelle et que t'y crois dur comme fer alors que tu n'appelles plus personne et que tout le monde croit que tu les fuies. Y a un évènement déclencheur qui te fait te replier sur toi-même mais pourquoi pourquoi je dis tu alors qu'il faudrait que je dise moi. Donc voilà ce moment-là je l'ai vécu la première fois j'avais 19 ans et j'ai voulu mourir. J'avais fêté mes 18 ans avec de nombreuses personnes on peut dire que j'étais le genre de fille populaire, qui fait partie de 4 ou 5 bandes et qui est invitée à au moins 5 endroits différents pour le nouvel an, qui a des plans pour chaque week-end et dont les amis se plaignent que je ne les favorise pas EUX par rapport à mes autres amis. Faut dire que j'avais plutôt une très grande gueule et un enthousiasme à la limite de l'hystérie, quand je sortais en bar ou en boîte je finissais la soirée en disant aurevoir à peu près à tout le monde, je m'invitais à toutes les tables je dansais sur les podiums et j'inventais toutes sortes de jeux. J'aimais TOUT faire absolument TOUT et j'aimais sortir avec un TAS de mecs et même des filles j'aurais tué père et mère pour faire rire tout le monde et en cours je m'amusais à faire des trucs du genre "hé regardez, un oiseau" et jeter mon cahier par la fenêtre ou me lever aller me frotter le dos contre le tableau en disant à la prof désolée ça me grattait. L'année où je me suis installée à Nancy, j'ai fait venir tout le monde toute l'année à la maison pour la fête pour dormir, jamais l'appart n'était vide et ma chambre était un lit géant tellement j'avais de matelas.

 

Et puis j'ai rencontré Claire.

 

Claire entre nous ça a été comme un coup de foudre d'amitié. Le premier jour où on s'est rencontrées on s'est détestées genre c'est qui cette pétasse, mais pour qui elle se prend cette grognasse, je la trouvais pimbêche, elle me trouvait prétentieuse, je la trouvais coincée, elle me trouvait m'as-tu vue, le deuxième jour, on se suivait partout. Le troisième jour elle vivait chez moi à quasi temps complet. Elle était le profil type de la bonne élève qui n'avait jamais trop fait de bêtises, avec le dynamisme d'une animatrice de colo débutante, le physique d'une madone des années 70 et le désir d'une vierge. J'étais le profil type du cancre qui a connu toutes les drogues, avec l'enthousiasme d'une junkie à Las Vegas Parano le physique de clementine dans eternal sunshine je sais pas si vous voyez, puis le désir intense de corrompre des vierges. Claire m'a poussée à une intrépidité sans limite, ça me fait le même effet quand quelqu'un flippe d'une araignée je prend l'araignée par une patte et je la jette, alors que toute seule j'aurais pris un bocal, mais là plus la personne flippe de le faire, mais en même temps à très envie de le faire, plus je le fais sans réfléchir, je l'ai poussée à me suivre dans toutes mes conneries, son imagination et la mienne s'escaladaient sans cesse comme le jeu des pommes de reinettes et pomme d'api le truc où on met les mains l'une sur l'autre. On a fait le tour de la France en stop même jusqu'à Londres c'est comme ça qu'on a su qu'on pouvait traverser la Manche en stop, par les bagnoles qui prennent l'Eurostar, les gens paient par voiture non par nombre de passager! 


J'avais senti le vent venir quand elle m'a dit un jour au retour de lille, on avait été chez un mec un rasta blond marrant qui nous avait traîné dans des boîtes reggae en sous-sol dans la rue, c'est bizarre, t'es dans la rue, le trottoir s'ouvre sur un escalier et dessous paf un bar. et le gars nous avait invité chez lui à dormir pendant 3 jours et puis il faisait de la photo et m'avait pris en photo genre pris pour modèle quoi, moi entrain de jouer avec des cailloux, moi entrain de jouer avec mes cheveux, je me rendais même pas compte que la miss derrière fulminait faut dire qu'on avait établi une sorte de contrat tacite d'égalité des chances face aux mecs, en gros, si on en rencontre deux, elle c'est l'un moi c'est l'autre, si on en rencontre qu'un c'est que la meilleure gagne mais c'est un jeu et on se le dit d'abord, tout ça faisait qu'en fait elle s'évitait d'être jalouse mais je ne le savais pas, je n'imaginais même pas qu'elle pouvait l'être tellement je la trouvais belle. Et là le coup du mec je l'avais pas vu venir car il ne me plaisait pas et elle, il lui plaisait, elle avait essayé d'attirer son attention mais j'avais rien vu, et lui il m'aimait bien moi. Alors au retour de lille elle m'a appelée faut que je te parle, on va arrêter d'être amies, tu me bouffes, je fais que te suivre, avant j'étais pas comme ça, maintenant je fais que des conneries, là j'ai dit stop je t'aime vient à la maison on va boire et parler toute la nuit, elle est venue on s'est prêté serment d'amitié éternelle. Plus tard on a décidé de monter LE PROJET.

 

J'avais déjà commencé à moins appeler mes anciens amis bien que l'appart était toujours rempli alors je m'en rendais pas trop compte, mais c'était toujours de nouvelles personnes, et puis y avait Max mon coloc qui venait d'une bande commune alors cette bande-là on les voyait toujours. J'avais le coeur et la tête remplis de Claire, de Max et du projet.

 

Claire m'a parlé une fois l'air de rien d'un projet qu'elle avait eu envie de monter quand elle était au Lycée, faire un spectacle en trois langues, espagnol, français et anglais et aller le jouer dans trois pays. Moi j'aimais bien les rêves en très grand et en concrétisation immédiate alors j'ai dit on le fait va-y. On s'empêchait jamais de rêver aussi loin et aussi grand qu'on le voulait. Une fois à Londres, dans un immense Pub avec de la moquette et des vieilles lampes, y avait quasiment que nous c'était vers Euston Square, on avait rêvé notre vie en détail. Je garde de ce souvenir le sentiment unique et merveilleux d'un conte de fées écrit en direct. On s'était dit l'une et l'autre chacune notre tour, moi le mec des mes rêves je le voudrais comme ça, et toi, moi je voudrais habiter telle ville, moi je voudrais que mon logement ressemble à ça, et moi je voudrais avoir tant d'enfants et moi je voudrais que mon métier ce soit ça ça ça, puis je voyagerais là l'hiver, là l'été, on viendrait se voir l'une et l'autre en vacances, wouaw, c'était du rêve de princesse. Je voulais un grand appart à Londres avec un ascenceur qui venait direct dans l'appart et un majordome comme Nestor de tintin et je voulais être une actrice reconnue de théâtre et un metteur en scène, mon mari serait écrivain et serait un dandy qui aurait une robe de chambre et je voulais des rideaux en velours rouges et un pied-à-terre à Paris, un autre à New-York. Bref notre truc c'était les rêves et les espoirs immenses.

Alors ce projet on l'a bâti solidement et on a mis Max dedans, on voulait faire le tour de l'Europe et recruter dans chaque pays une personne de nationalité différente et l'inclure dans un spectacle évolutif construit à partir d'impros. On ferait un stage d'une semaine pour recruter la personne, puis on répèterait un mois dans le pays, on jouerait, puis on repartirai dans le pays suivant. Ca avait l'air tellement énorme, de nombreuses personnes nous disaient qu'on était mégalos et qu'on fonçait dans le mur, et qu'on était trop jeunes et qu'il valait mieux faire de petits projets d'abord. Mais on a mis toutes nos tripes dedans, on a monté un dossier béton puis demandé des subventions, on allait même demander des sous aux commerçants de la ville, à nos familles, on a fait un dossier de jeunesse machin, le truc des 18-25 ans, on a eu près de 50 000 francs en tout, on a été dans plein de villes en stop, trouvé des salles de répèt dans différentes villes de France, des salles pour jouer, des interprètes pour traduire, j'ai repris contact avec des gens de Prague de mon école, on a écrit à tous les offices du tourisme pour avoir toutes les infos sur les théâtres et le hébergements, à l'époque, internet c'était une adresse mail pour ceux qui en avaient une, mais aucune info, aucun site web quasiment de compagnies à part je me rappelle d'eux, Box Clever à Londres, eux ils nous ont reçues dans leurs locaux on était allées chez eux en stop et on est arrivées trempées comme des soupes, ils nous filé des serviettes des cafés chauds et ils ont été tellement impressionnés qu'ils nous ont promis une salle pour notre stage. Les gens commençaient à nous prendre au sérieux et même on commençait à recevoir des conseils plus que des leçons de morales.

 

Puis Max a commencé à déconner. Il faisait plus rien et passait ses journées à fumer des joints. Plus Claire et moi étions à fond motivées, plus on taffait, plus on se levait tôt le matin, moins il en ramait. On a donc demandé conseil à Michel son parrain qui dirige une compagnie de théâtre sur Nancy ce qu'on faisait dans ces cas-là. On avait jamais eu le cas de devoir virer quelqu'un. Il nous dit qu'il fallait lui poser un ultimatum puis en cas de refus le virer, ce qu'on a fait. Il l'a très mal pris et son caractère de merde n'a rien aidé car à l'allusion de l'ultimatum il s'est braqué direct et on a pris la décision la mort dans l'âme de le virer. Max était le seul ami qui me restait de TOUS les amis que je fréquentais l'année passée, les autres j'avais cessé de les appeler depuis des mois accaparée que j'étais par ma vie foisonnante et mon rapport fusionnel avec la madone Claire. Il me restait donc Claire. On s'est dit qu'il fallait pas se laisser abattre et qu'on trouverait une nouvelle personne. Justement quelques jours plus tard, une fille de Pézenas, sa ville natale, Eglantine, voulut se joindre à nous. C'était pas une amie de Claire, mais sa mère la connaissait; la mère de Claire connaissait tout le monde, le père de tout le monde, le frère et le fils aussi, et Claire avait du coup des demi-frères et soeurs et un nombre conséquent de beaux-pères. Alors nous voilà fin juin, je rend l'appart je rend mon amitié à Max qui me hait, je rend ma vie à Claire et à ce projet et je pars à Pézenas vivre dans THE maison où est né Molière, la maison de Claire. Elle avait un job d'été, moi j'en ai pas trouvé, et le soir on se retrouvait pour bosser la création de la pièce de départ, celle qui allait servir de base aux impros. On cherchait des idées de partout, même en danse contemporaine, et on a fait venir Eglantine, on a un peu bossé avec elle, puis elle est partie à Avignon et devait revenir au mois d'Août. Progessivement Claire s'est mise à me fuir. On est parties à un festival à Saint-Charretier elle m'a laissée seule pour rester avec son mec de l'époque, moi je m'en suis trouvé un autre et une bande de musiciens sur place, mais bon ça faisait chier, puis on est revenue à Pézenas et une styliste-créatrice a organisé un défilé de mode pour ses créations en plein sur la grande place du centre historique, avec méga-son haut-parleurs pour décrire les modèles, musique à fond etc...Et m'a prise pour défiler avec quelques modèles. Claire a pété un câble genre pourquoi elle pourquoi pas moi et sa jalousie était telle qu'elle ne m'adressait presque plus la parole. Un an plus tard, quand nous nous sommes réconciliées, elle m'a avouée qu'elle avait passé le mois à être jalouse de moi. En fait, c'était une maladie chez elle. Elle m'a écrit une lettre, elle a écrit une lettre à Eglantine et le matin en me réveillant, j'ai trouvé les 2 sur ma table de nuit. J'ai fait mes bagages et je suis partie à Avignon. Pendant une semaine, j'ai joué dans la rue, derrière le palais des Papes avec elle, puis comme elle était toujours motivée pour faire ce projet, et que c'était une fille en or avec des rêves aussi grands, elle m'a convaincue d'aller répéter et finaliser la pièce chez elle, au Mas Sauvadou, chez sa mère qui, me dit-elle, développait dans son lieu dit, un écovillage. J'avais 3 valises, une de vêtements et deux de paperasses pour le projet. En arrivant, j'ai compris que je dormirais dans une tente pas grave, mais quand j'ai du poser mes valises de papiers dans une sorte de cave aménagée sous l'escalier dehors, au milieu de la poussière, j'ai commencé à visualiser le projet qui s'en allait au loin sur la colline en me faisant des coucous, et puis fuck, et puis tu m'auras pas...Le Mas Sauvadou c'était du grand n'importe quoi tenu par une dingue, qui se trouvait être la mère de la merveilleuse Eglantine. Une secte avec sa gourou méditation transcendentale le matin avec vision d'arc-en-ciels traversant le 3ème oeil, de pauvres gens avides d'un ailleurs plus heureux qui se pliaient en 4 pour lui retaper sa maison gratuitement en échange de l'espoir de vivre un jour à Egalité dans l'éco-village, mais non ils dormaient dans une tente et ANNA (comme si c'était son vrai nom) avait sa chambre au dedans bien-sûr. Elle faisait feu de tout bois et arnaquait les malades en leur faisant des thérapies par les énergies de ceci cela, et thérapie par les sons, disait qu'elle pouvait soigner le sida, et prétendait avoir vécu 10 ans dans la forêt seule et que la nature elle-même lui avait enseigné son savoir, chose qui semblait hautement improbable, bien que je connaisse de véritables chamanes auxquels les esprits de la nature ont effectivement enseigné des choses, mais cette femme était tout sauf une guérisseuse, mais une grande névrosée, manipulatrice. Et elle n'était pas du tout contente que je lui vole sa fille pour partir en Europe avec elle. pas du tout du tout.

 

Alors un jour que 2 jeunes types se sont présentés là pour essayer de se faire embaucher comme charpentier, j'étais chargée de les accueillir et de leur faire du thé (ou plutôt cette immonde tisane faite de plantes dégueulasses ramassées par ANNA elle-même) et lorsque je me suis absentée quelques minutes pour aller je sais même plus faire quoi, je reviens et les 2 types plus là, ni d'ailleurs ma carte bleue, ni d'ailleurs mon appareil photo. Les connards s'étaient barrés en volant pour se venger de ce qu'ils n'avaient pu obtenir (un job payé, ANNA ne donnait que du travail bénévole, pour la gloire de DIEU). Le soir même, la gourou psychosée fouille dans ses tiroirs et dit en me regardant et devant tout le monde, TIENS on m'a volé 200 francs. Je dis, ben moi ma carte bleue pis tout. Elle dit C'EST BIZARRE quand même tu étais toute seule toute l'après-midi ici pendant qu'on travaillait et voilà que je reviens le soir et qu'il me manque de l'argent. Tu m'as bien dit que tu avais des soucis d'argent ces derniers temps? Alors là j'étais sur le cul. Et toute la clique de me regarder bizarre. Et puis soudain tout l'écovillage s'est mis à avoir des trucs qui disparaissaient et avant que j'aie eu le temps de dire ouf, je ne pouvais plus aller m'asseoir autour du feu pour écouter jouer de la guitare "ALORS sale voleuse?" "Toi je ne te parle plus" "A cause de toi Eglantine et sa mère sont en froid" "Tu me dois 50 francs pour le tabac que tu m'as volé". Ce soir-là je me suis levée et je suis allée vomir dans les herbes hautes. Alors Eglantine m'a dit, écoute on va aller jouer ce qu'on a déjà monté à Aurillac, on est parti avec un musicien qu'on avait rencontré à Avignon, et puis la suite c'est Rafael l'histoire de mes vacances en Sardaigne d'un autre article vous pouvez lire.

 

Epilogue: Quand je repense à tout ça, je revois mes valises remplies de mes rêves bazardés sous l'escalier, la poussière qui les recouvre lentement....Le projet, tous ces gens qui ont attendu de nos nouvelles partout en Europe et je n'ai osé en appeler AUCUN, j'avais trop honte. J'ai jeté tous ces papiers comme Treplev qui déchire lentement ses manuscrits dans la Mouette de Tchékhov.

 

A la suite de cet été-là je suis tombée en grave dépression nerveuse et j'ai voulu mourir chaque jour jusqu'à ce que je rencontre Mr Schwab, le plus merveilleux psychothérapeute du monde que je vous raconterai dans une autre histoire.

 

Claire et moi nous sommes réconciliées et plus tard elle m'a encore tirée vers le bas. Aujourd'hui je ne la fréquente plus, mais je ne peux m'empêcher de lui en vouloir à elle et à sa jalousie maladive. Cette jalousie qui m'a blessée tant de fois par la suite.

 

J'ai toujours la foi et je rêve toujours en immense. Certaines cicatrices essaient toujours de se rouvrir en plaies, mais je les panse.



04/03/2012
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