Trace ma vie

J'avais eu le droit par un coup du destin d'aller passer deux semaines dans un lycée anglais, à Letchworth, qui n'avait tellement rien à voir avec le mien que c'en était clairement aberrant, j'explique. Moi j'étais dans un lycée classé le dernier de France sur le journal officiel du classement des lycées, je passe les détails, mais ce lycée avait réussi à obtenir et je pense que c'est pour les subventions, vu que le directeur a été arrêté pour détournements de fonds un an après que je sois partie, le droit d'être déclaré comme lycée international, accueillant les classes européennes qui pouvaient passer des diplômes de Cambridge et aussi de recevoir des lycéens du monde entier, on avait une coréenne So-Young Park une fille qui parlait jamais mais qui mangeait des sushis, une polonaise marrante qui fumait des joints et qui marchait pieds-nus et des luxembourgeois bizarres qui avaient tous passés la vingtaine, même un type avait un enfant. Et du coup ce lycée pouvait envoyer chaque année un élève en Italie, en Angleterre ou en Suède et cette année-là, c'est moi je suis partie en Angleterre grâce à ma prof qui était tellement cool que c'était surprenant car elle était la sœur de ma prof de théâtre une nana vraiment conne et méchante comme la gale. Mais je voulais passer le diplôme de Cambridge, des fois j'avais de ces éclairs qui jaillissaient au milieu de la fumée, et du coup ma prof m'avait obtenu la bourse. Haha.

Je me suis donc retrouvée dans un lycée hallucinant, un truc genre imagine-toi le lycée…Les élèves n'avaient pas des dortoirs non non non, les élèves avaient des MAISONS, avec un piano et tout et les chambres avaient des coiffeuses et des fenêtres arrondies sur le dessus et des rideaux qui tombent bien, c'était le seul lycée végétarien du monde et certaines personnes devaient commander en cachette des pizzas à pizza hut et se faire livrer par la porte d'une salle de bain qui donnait sur la cour, afin de pouvoir se taper un peu de jambon de temps à autres. Moi j'étais verte, car leur grande passion étaient les pizzas hawaiennes avec de l'ananas dessus et personnellement je pense qu'aucun ananas n'a sa place sur une pizza. Bref, l'école ressemblait plus à un complexe de loisirs qu'à une école, y avait un terrain de foot (je veux dire un TERRAIN pas un vieux parking aménagé avec des buts) un terrain de pelote basque, je croyais rêver quand je voyais ces grands types se promener avec leurs espèces de gant-panier, je veux dire quel genre de lycée est assez riche pour se permettre un terrain de pelote basque à part des lycées basques? Ils avaient une salle de squash avec des baies vitrées pour observer les joueurs au-dessus de la salle, une bibliothèque qui faisait passer le CDI de mon lycée pour un kiosque à journaux, avec fauteuils en cuir et étagères immenses, dont les derniers rayons recèlent des savoirs extraordinaires compilés dans de vieux grimoires reliés tu vois le délire. Ils avaient une atelier avec des scies électriques et du matos d'usine, quand dans mon collège on faisait le cours de techno, on devait fabriquer un testeur de continuité avec un pauvre boîtier en plastique et trois bouts d'étain, EUX fabriquaient une guitare ou des portes de jardin, des trucs qu'ils allaient envoyer chez eux par bateaux un de ces quatre…Les élèves venaient du monde entier et payaient une fortune le droit d'appeler leur prof par leur prénom en se faisant un toast au coin du feu le soir après les devoirs. Ma copine de chambrée s'appelait Tana et était mannequin. On est devenue très copine après qu'elle ait reçu une espèce d'énorme colis, un coffre rempli de bonbons et de chocolats, moi je lui dis LA VACHE mais en anglais je sais plus, genre le coffre était rempli rempli tu vois comme dans Princesse Sarah et tout, et là elle prend les trucs dedans elle me les jette en criant prends tout je m'en fous puis elle s'allonge par terre et elle chiâle moi j'avais des nounours en chocolat sur les pieds et des ptits machins qui piquent la langue dans les mains, et je comprenais pas mais je me suis allongée près d'elle et je l'ai prise dans mes bras, ça se fait pas de regarder quelqu'un pleurer comme ça même si elle vient de te crier dessus alors elle m'a dit MY FATHER IS A BASTARD. Ah bon toi aussi? Mince je voyais d'un seul coup exactement de quoi elle parlait parce que le mien à l'âge de 10 ans il m'a payé un putain de voyage à Dysneyworld et aux Bahamas et tout mais j'avais qu'une chose à dire de mon père MY FATHER IS A BASTARD oui oui oui. Alors Tana et moi on est devenue copine et puis on s'est tout dit, papa, maman, les mecs tout ça. Au début de ma première semaine je traînais avec elle et ses connards de potes, qui étaient des petits crevards joueurs de bowling et qui n'avaient rien d'autre à faire que de se poster devant moi pour me dire des trucs que je ne pouvais pas comprendre, du genre qui contient le mot PUSSY et LICK mais moi je parlais anglais genre les mots de base pas de slang ni rien. Alors je m'emmerdais un peu et puis à la fin de la semaine j'ai rencontré l'immense Gabriele Toso . Ce type, en fait depuis le début de mon séjour, tout le groupe de petits crevards passaient devant lui en disant Gabriel the knob, je savais pas trop ce que ça voulait dire mais c'était clairement pour dire ce mec est infréquentable, con et débile. Il avait une touche bizarre, à chaque fois je le voyais passer dans les couloirs, je me disais le pauvre, il doit en chier avec tout le monde qui l'appelle le knob et tout. Il avait un piercing dans le nez façon vache, et des cheveux bouclés bruns coupés au carré et séparés en deux par une jolie raie au milieu. Il portait une longue veste noire en cuir à une époque où Matrix n'était pas encore sorti et des docs noires, il était clairement DIFFERENT. Il y avait aussi un autre gars Simon (Saille-mone) qui traînait avec lui, mais ce mec avait une tout autre réputation car il était très très beau avec des yeux bleus magnifiques et l'air lunaire. Toutes les filles ne parlaient que d'une chose, avec qui Simon allait-il vouloir bien sortir, car il semblait inaccessible et aussi il était en upper-6 en gros, en terminale, comme Gabriele Toso et inspirait aux jeunes filles de 3^ème une dévotion quasiment identique à celle provoquée par Leonardo Di Caprio qui venait d'interpréter Roméo au cinoche deux mois avant. Quand j'ai rencontré Gabriele je crois que je cherchais mon chemin ou un truc dans le genre, tu vois c'était mille fois plus un campus qu'un lycée y avait des rues et tout, et je croise le knob il est tout seul avec ses livres sous le bras et je lui demande où se trouve telle salle et tout, et là il me répond avec un anglais super bien prononcé en tout cas mille fois mieux articulé que la normale, et il appuyait bien sur les mots genre je parle anglais mieux que le monde entier, et il me parlait sans cesse en marchant je le suivais en trottinant car il marchait très très vite et puis je commence à essayer de lui répondre et naturellement je me mets à parler anglais un peu mieux et tout, et là il explose de rire et me dit ALLEZ on va parler français hein ce sera mieux je crois…. En français et tout….Il s'était bien foutu de ma gueule et là on rentre dans une salle y a un billard un pool il me donne une canne et la craie bleue et me dit j'espère que tu sais jouer, mais moi je voulais aller à la bibilothèque, et il me dit, tu as assez travaillé pour aujourd'hui ma cocotte, tu vas maintenant bien t'amuser, je vais te présenter des gens exceptionnels. Il était vénitien et parlait français avec un accent merveilleux entre le riche aristocrate et le styliste haute couture et il m'a présenté toute sa petite clique de fous furieux. Aucun ne jouait au bowling.

Y avait:

Les Milani Twins deux types un brun un roux pas du tout des jumeaux et un seul s'appelait Milani mais comme ils faisaient toujours leurs conneries ensemble on les avaient nommés jumeaux et presque mariés l'un avait adopté le patronyme de l'autre. Ils aimaient coller des cotons-tiges sur les murs pour décorer, jouer au squash en caleçon en hurlant des chansons, faire des jeux de mots, imiter ray charles et un tas d'autres singeries.

Simon, le beau aux yeux bleus. Lorsqu'on s'est roulé une pelle pour la première fois c'était dans le cabanon qui servait à ranger le matos de sport près du terrain de pelote basque et il m'a dit que j'étais la première fille avec qui il sortait depuis son entrée dans ce lycée, il était luxembourgeois et très très timide. On a fait que se faire des bisous pendant une semaine mais c'était drôlement bien. Il s'habillait comme un dandy et collectionnait les trophées sportifs, sa chambre était le QG "the Simon's room".

Et Gabriele le fabuleux. Ce mec m'éclatait j'étais toujours en train de rire à ses blagues comme si on m'avait mis un coup de poing dans le ventre tellement il était absurde et drôle. Un jour par exemple il me dit viens on va chercher mon courrier, moi il m'aurait dit viens on va se laver les mains j'aurais couru, je voulais bien aller là où il allait je savais qu'il allait toujours se passer quelque chose. Bref, on se dirige dans les dédales du campus et on arrive dans un bâtiment, on monte et on se rend dans une petite pièce super jolie, mais pas du tout le style bureau où on va chercher son courrier non plutôt entre le salon de thé et l'atelier de couture et il crie MARIA, une fille arrive elle dit MON GABRIELE elle parlait Italien, ils se parlent en Italien deux secondes, elle ramène une assiette en porcelaine avec une carte postale dessus, genre la meuf l'aimait tellement qu'elle allait chercher pour lui son courrier à la poste et elle le gardait amoureusement sur une belle assiette en attendant qu'il vienne le chercher. Il regarde la carte et lit à haute voix: "Salut mon chéri (il commentait: mon chéri? Allons donc!) J'espère que tu vas bien blablabla (mais qui est-ce qui m'écrit??) il regarde au bas de la carte Gloria. Il dit Gloria? Mais qui est cette Gloria? Il regarde le timbre: Afrique? Mais qui  est cette Gloria qui m'écrit d'Afrique? On regarde avec lui la carte, une photo de savane avec un coucher de soleil, Kenya, tu connais pas de Gloria? Tu connais personne en Afrique? Bref, il savait pas il met la carte dans sa poche merci Maria, aurevoir Maria, bisou, serre dans les bras on s'en va. Puis on va dans la simon's room et y a tout le monde alors on chante on rigole et puis d'un seul coup Gabriele hurle AAHHHHH mais c'est ma sœur! La carte, c'est ma soeur c'est vrai qu'elle habite en Afrique! Voilà le genre de personnage que Gabriele était.

Epilogue:

J'ai présenté Gabriele à Tana en pensant, eh Tana si t'arrêtais de fréquenter ces crevards tu pourrais juste te marrer et oublier tes soucis. Elle a au début été séduite par le fait de pouvoir fréquenter le beau Simon, mais très vite, elle a apprécié Gabriele et les Milani Twins. Le dernier jour on a pris une photo Tana, Simon, Gabriele et moi on s'est promis amitié éternelle et de s'écrire des lettres jusqu'à ce qu'on se revoit, mais les promesses comme vous savez c'est souvent bullshit.