Trace ma vie

Comme un cheval

Une fois c'était l'après-midi j'étais en CE2, je me suis dit fermement que je n'allais pas rentrer chez moi après la classe et c'était comme ma première expérience de véritable liberté un lâcher-prise total, j'ai passé l'après-midi dans un état bizarre, je faisais amie avec des personnes d'habitude on se parlait pas, ou on s'engueulait comme Arnaud qui était mon voisin d'en face de fenêtre et aussi j'allais dormir chez lui à cause de sa mère qui connaissait ma mère mais on se fritait tout le temps plus tard en quatrième c'est devenu mon amoureux et puis maintenant on est ami facebook il est comptable il se fait chier voilà voilà, mais à cette époque Arnaud c'était mon pire ennemi et on nous a séparé de classe en cm1 tellement on pouvait se haïr et même une fois on s'est jeté des ciseaux, là cette après-midi là on s'est échangé un capuchon de stylo marrant contre un paquet de hollywood à la menthe et je l'ai mis dans mon sac en provision, j'ai acheté à la copé une plaquette de chocolat à la récré, la copé c'est 2 panier jaunes en plastiques un avec des croissants fourrés de chocolat et avec du sucre glace dessus c'était bien de manger d'abord tout le sucre glace pis ensuite ouvrir le croissant et manger que la barre de chocolat et enfin finir par le croissant, mais c'était pour se nourrir moins intéressant....J'avais comme toute fortune mon paquet de hollywood et ma plaquette de chocolat, mon k-way et mon sac à dos de classe, à 4h la cloche a sonné mon coeur a battu, je suis sortie de l'école, j'ai marché vers chez moi, mais au lieu de continuer tout droit à travers l'herbe, j'ai bifurqué sur ma droite pour rejoindre la route, on avait été en ville plusieurs fois avec ma mère à pied, c'était 2H de marche, mais je me rappelais plus trop la route alors je me suis trompée et j'ai pris la voie rapide, j'ai marché sur la bande d'arrêt d'urgence.

 

Je voulais aller en ville car j'avais dans l'idée de devenir la fille adoptive d'un clochard et de dormir dans des couvertures et j'aurais un chat que je tiendrais en laisse, on voyagerait et je m'amuserais bien. Tous les clochards s'occuperaient de moi et ça serait génial, plus tard j'ai vu Tokyo Godfathers le manga et je n'en revenais pas de voir mon rêve de petite fille en film, je voulais être cette fille, je rêvais de vagabonder avec mon sac à dos et de ne jamais cesser de marcher, me déplacer, vivre dehors c'était comme un paradis innacessible.

 

J'ai marché pendant longtemps sur le bord de la voie rapide la bande d'arrêt d'urgence, et aucune voiture ne s'est jamais arrêtée pour me dire eh gamine qu'est-ce que tu fous là, je crois que quand tu ne sais pas que tu n'as pas le droit d'être quelque part, tu te sens tellement parfaitement dans ton élément que tu t'intègres très bien au décor et personne ne prête attention à toi, j'ai marché sous le soleil de printemps, avec mon k-way, je transpirais grave mais je voulais pas l'enlever je me disais que j'avais pas le droit de le faire, ou je sais pas souvent les enfants ils font des trucs tu te dis mais comment il a pu penser comme ça, tu comprends pas, et petite j'étais une autre personne alors je me rappelle plus, mais je craignais d'enlever mon k-way et je crevais de chaud. Je me sentais comme une bombe prête à exploser, mon coeur était gonflé de danger, je voulais fuir, fuir, je ne savais pas du tout où j'allais mais je faisais attention à bien m'éloigner de plus en plus de là où je vivais et le ciel était bleu comme en été, je tenais bien mon sac à dos de chaque côté de mes épaules comme une randonneuse, je marchais vite, sur les bords de la voie rapide, y avait des maisons en contre-bas, une pente qui dévalait avec de l'herbe et des arbres et je trouvais ça joli, car des coins différents de nature j'en voyais pas souvent. A un moment je vois des chevaux, deux exactement, un noir un marron ils mangent dans l'herbe entre les arbres tranquillement, je m'arrête pour les regarder car c'est la première fois que je vois des chevaux comme ça, j'en avais vu qu'une fois au CP quand on nous avait forcé à monter dessus sous la pluie, dans la cour de l'école jean 23, cette cathédrale qui servait d'école primaire remplie de bonnes soeurs je supportais pas, du coup les chevaux ça m'avait fait l'effet d'un truc monstrueux affreux ça me fait toujours ça quand je vois des gardes nationales montées sur des chevaux harnachés marchant en rang...Mais là c'était des chevaux même pas attachés qui mangeaient paisiblement, ils ne me voyaient même pas j'étais trop loin et en hauteur et j'ai eu le coeur qui a débordé tellement ils avaient l'air libre et moi aussi j'étais libre, j'aimais ces chevaux et le vent tout doux qui faisait voler leur crinière et leurs jolis mouvements de tête pour arracher de l'herbe tendre et leur tranquillité, et le silence et moi seule qui les voyais à ce moment-là, je comprenais que monter sur un cheval c'est pas le but premier du cheval, en premier un cheval c'était comme mon chat, une personne avec une âme qui vit qui bouge c'est pas une voiture.

 

J'ai continué là j'ai vu la pancarte frontigny, je connaissais pas ça me semblait pas mal comme loin, vu qu'on connaît pas, alors je suis entrée dans la ville, c'était tout petit mais c'était comme un quartier, des pavillons, des rues, c'était comme chez moi en fait, pas de centre ville comme je voulais pas de clochards, j'ai marché marché à la recherche de quelque chose de quelqu'un je me sentais toute seule, et j'ai vu un groupe d'adolsecents assis sur un muret, je suis passée devant eux l'air de rien, l'air de je marche vers je sais très bien où, mais je savais que j'étais pas à ma place alors du coup ils m'ont vue. Ils m'ont appelée, eh petite fille, eh, je me suis arrêtée, une fille a dit eh tu fais quoi ici, on te connait pas, putain c'était un village tout le monde se connaissait je commençai à me sentir vraiment mal à l'aise, elle répète eh je t'ai posé une question, tu fais quoi? Je répondais rien en regardant par terre, ils s'approchent tous. Ils m'entourent. Tu fais quoi ici, alors je pleure je dis que je me suis enfuie de chez moi. Où c'est chez toi? La grange aux bois je dis, hein mais c'est un quartier de Metz ça! T'es venue comment? A pied je dis. Alors la fille qui avait parlé dit qu'elle va m'amener chez elle. Là ça sent pas bon, qui dit chez elle dit parents, qui dit parents dit fini le vagabondage. Elle m'emmène chez elle et elle dit à sa maman, c'est une petite fille elle s'est enfuie de chez elle à pied de Metz! Sa mère me dit de m'asseoir dans la cuisine, elle prend mon sac elle m'enlève mon k-way, mon dieu mais tu es en NAGE! Oui j'avais trop chaud je dis. Pouquoi t'as pas enlevé ton k-way, vous faites chier avec vos questions les adultes.

 

Elle me fait un chocolat chaud et elle prend son téléphone, me demande mon numéro pour appeler ma mère, ça décroche tout de suite. Elle arrive ta maman. Je me demandais bien comment elle allait faire vu qu'elle avait pas de voiture, mais elle a demandé au directeur de mon centre aéré de l'emmener. Je suis sortie de la maison, ma mère a ouvert les bras en pleurant ma chérie, ma chérie j'ai eu tellement peur. Mais elle a pas demandé tout de suite pourquoi elle avait bien peur que je réponde devant les gens des trucs qui l'auraient mise dans une merde pas possible, et puis on est monté dans la camionnette de Gérard qui était gentil comme tout je suis montée au milieu. Gérard m'a raconté que tout le monde m'avait cherché dans le quartier pendant des heures, lui en camionnette, tous les enfants à vélo, comme une chasse au trésor j'imaginais très bien, rachel, emmanuelle, solange tout le monde sur son bicross en train de pédaler comme des fous, ça me faisait plaisir de savoir qu'on s'intéressait autant à moi. 

 

On est rentrées ma mère et moi dans le 2 pièces, et la cuisine était rangée et nettoyée, elle avait pris le temps de le faire avant d'appeler quelqu'un à l'aide car c'était la honte le bordel pour elle, la honte et le secret bien gardé de la maison. Elle a fait à manger et elle était très gentille avec moi, je me suis dit que c'était pas mal de faire des fugues si on pouvait profiter d'une soirée de tranquillité avec maman qui crie pas. Elle m'a demandé pourquoi j'ai fait ça, j'ai dit à cause d'un zéro que j'ai eu, n'importe quoi, j'ai jamais eu de zéro en primaire j'avais que des bonnes notes vu que j'étais la première de la classe. Elle m'a dit, ben dit donc tu as eu si peur que je te dispute à cause du zéro? Oui, j'ai menti, car je pouvais pas dire la vérité à cause de la blessure que j'avais peur d'infliger et ma mère c'est comme un animal sauvage blessé, dès que tu touches à la plaie elle hurle et elle mord, alors comment pouvais-je lui jeter à la figure que je m'étais enfuie à cause de TOUT ça? A cause du bordel à la maison, les sacs poubelles dans les armoires, le pas le droit d'inviter qui que ce soit à la maison, les claques tous les jours, les coups de pieds les hurlements, la terreur qu'elle m'inspirait, le bruit de ses talons qui marchent dans le parking que j'entendais de loin le soir avant qu'elle rentre, le stress incroyable d'avoir l'air d'être la plus sage possible en train de jouer normalement surtout qu'elle ne s'énerve pas, faites qu'elle ne s'énerve pas, maman! tu vas bien maman? Non elle allait pas bien, et tu as fait des devoirs? Parfois oui parfois non, mais ça changeait rien c'était les claques, quand j'avais fait une connerie je l'avouais sans peur, car je savais que ça allait tomber je fermais les yeux et j'attendais que ça passe, mais c'était quand j'avais rien fait qui était le plus angoissant, les moments où tu sais plus comment te ranger, tu voudrais disparaître, parce qu'elle hurle et plus tu pleures, plus tu fermes les yeux plus tu dis arrête, plus ça la met dans une age folle d'être confrontée à elle-même, je suis une mauvaise mère puisque ma fille pleure, et plus je pleurais plus elle étais une mauvaise mère, et plus elle était une mauvaise mère, plus elle devenait dingue, elle se mettait une pression telle par rapport à mon éducation, que je vivais dans un régime de dictature, il me semblait que j'étais à la merci de ses humeurs, mais tellement j'angoissais, elle lisait mon angoisse et elle supportait pas, elle supportait pas d'être cette mauvaise mère qui faisait angoisser sa fille, alors ça pleuvait, ça tombait à n'importe quel moment, et je me sentais comme le cheval harnaché sous la pluie qu'on force à marcher droit avec un mors dans la bouche et son propriétaire qui le tape dès qu'il fait un faux pas, et plus le cheval rue, plus le propriétaire frappe, et le cheval finit par mourir, et comme j'avais failli mourir noyée une fois je savais que j'allais mourir peut-être sans jamais avoir connu le sentiment d'être le cheval libre sous le soleil.

 

Comment pouvais-je dire tout ça à ma mère avec les mots d'enfants qui sortaient de ma bouche comme une ouverture réduite par rapport au tube, ça contient beaucoup mais ça sort presque rien. Alors j'ai juste dit pour le zéro et puis j'ai mangé mes pâtes à la tomate avec dans le coeur un élément nouveau.



24/03/2012
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